« Twitch n’est pas une plate-forme de jeu vidéo » : Dan Clancy, PDG de Twitch


Dan Clancy, PDG de Twitch, à Paris le 8 juillet.

En mars 2023, Emmett Shear, le cofondateur et PDG de la plate-forme de vidéo en direct Twitch depuis 2011, annonce par surprise sa démission. Il nomme à sa place Dan Clancy. L’Américain de 59 ans se distingue par un début de carrière en sciences informatique à la NASA puis un départ chez Google en 2005. Il intègre Twitch en 2019 et occupait jusqu’à présent le poste de vice-président. Il est aussi connu sous le pseudonyme DJClancy, nom de sa chaîne Twitch où il joue de la musique en direct et répond aux questions des utilisateurs.

Quatre mois après sa nomination, le patron de la plate-forme américaine, propriété d’Amazon, a assisté à l’édition européenne de la TwitchCon, un salon organisé les 8 et 9 juillet à Paris. A cette occasion, il a répondu aux questions du Monde.

Le jeu vidéo fait partie de l’ADN de Twitch. Mais l’on voit apparaître une plus grande diversité dans les contenus proposés, que ce soit des concerts en direct ou des performances de drag-queens. Est-ce que c’est quelque chose que vous encouragez ?

Twitch n’est pas une plate-forme de jeu vidéo mais de discussion où il s’avère que les créateurs échangent pendant qu’ils jouent. D’ailleurs, ce n’est pas parce qu’un streameur est habile de ses pouces qu’une communauté se forme autour de lui. C’est plutôt parce qu’il y a un attachement émotionnel à sa personne.

Nous savons bien que le gaming a une place très importante sur Twitch, et il est important pour nous de répondre aux attentes de son public. Mais nous voulons aussi continuer de nous ouvrir à de nouveaux types de créateurs. Et il y a tellement de gens qui y font déjà des choses différentes. Par exemple, j’ai rencontré ce week-end un Scandinave qui fait de la réparation de chaussures en direct.

A la TwitchCon de Paris, le lancement prochain de « Discovery Feed », une nouvelle fonctionnalité intégrant de courtes vidéos, ainsi qu’un format « stories » ont été annoncés. Est-ce que vous essayez désormais de rivaliser frontalement avec les autres réseaux sociaux ?

Notre objectif n’est pas de faire comme TikTok ou Instagram. Nous nous concentrons sur la vidéo en direct ainsi que l’engagement des communautés autour des streameurs. Je pense que l’une des erreurs faite par beaucoup d’entreprises de ce secteur est de perdre de vue leur cœur de métier et d’essayer de reproduire ce que font les autres.

Sur les autres réseaux sociaux, on fait défiler beaucoup de contenus produits par différentes personnes. Nos utilisateurs ne veulent cependant pas de ça. Nos streameurs sont là pour faire du direct. Quant aux spectateurs, ils sont là pour rester sur la chaîne d’un créateur un certain temps. C’est ce qui rend Twitch spécial.

Beaucoup d’adolescents rêvent aujourd’hui d’adopter une carrière d’influenceur grâce au stream. Que répondriez-vous aux nombreux parents qui s’en inquiètent ?

A chaque fois qu’une innovation apparaît, les générations précédentes ont souvent du mal à comprendre les jeunes qui se l’approprient. Aujourd’hui, les parents s’attendent toujours à ce que leurs enfants envisagent des carrières traditionnelles, comme médecin ou avocat. Mais le monde a changé. Et souvent, je constate que les parents de nos plus jeunes streameurs ont beau commencer par s’inquiéter, dès qu’ils comprennent ce que font leurs enfants, ils les soutiennent de façon incroyable.

Les inquiétudes concernant le stream sont pourtant légitimes : malgré le temps investi, très peu de vidéastes réussissent à gagner un vrai salaire en exerçant cette activité.

C’est effectivement un défi d’être découvert et de trouver son audience. Mais c’est une problématique que l’on retrouve dans tous les domaines impliquant de l’expression artistique. Beaucoup de personnes essaient d’être acteurs, danseurs ou musiciens et échouent. Finalement, notre domaine est un nouveau domaine créatif.

Twitch n’est pas encore une plate-forme qui gagne de l’argent, comment envisagez-vous le futur de l’entreprise ?

Je dirais plutôt que nous jouons une partie sur le temps long. Nous savons où nous allons et que notre modèle fonctionne. Et nous allons nous baser là-dessus pour continuer de progresser, en même temps que le nombre de streameurs augmente. Certes, c’est un secteur difficile. C’est ce que l’on appelle un produit avec une faible marge, notamment parce qu’il y a beaucoup de créateurs à soutenir. Mais c’est un business qui marche bien quand on a compris le secteur.

L’audience de Twitch a été multipliée par quatre depuis les confinements dus au Covid-19, avant de ralentir dernièrement. Pourquoi la croissance ne s’est-elle pas maintenue ?

Twitch est en croissance. Cette croissance a toujours été lente et constante. Avec le Covid-19, nous avons rapidement grossi car beaucoup de gens ont subitement eu beaucoup de temps libre. Mais il faut du temps pour que les comportements changent vraiment. La croissance stable est aussi en phase avec les expériences que nous proposons. Etre sur Twitch est différent de regarder un épisode de série sur Netflix. Ça s’apprécie sur le temps long, il faut souvent plusieurs heures avant de percevoir la magie de Twitch.

De nombreuses femmes et des personnes issues de minorités dénoncent des vagues de harcèlement à leur encontre sur la plate-forme. Comment répondre à leurs demandes pour se sentir plus en sécurité sur Twitch ?

Dès qu’ils adoptent une identité virtuelle, beaucoup de gens font des choses qu’ils ne feraient pas s’ils étaient en face de vous. C’est un des problèmes d’Internet. Nous ne pouvons pas cesser de lutter contre cela car à chaque fois que nous proposons une mesure pour contrer le harcèlement, les harceleurs trouvent autre chose. Nous avons fait beaucoup de progrès ces dernières années, et c’est l’une des choses qui distingue Twitch. Mais c’est un sujet sur lequel nous n’aurons jamais fini de travailler. Le fait que nos streameurs subissent le harcèlement en direct, dans le chat, les expose encore plus que sur les autres plates-formes. Notre capacité à identifier les harceleurs et à les bannir du service est donc cruciale.

Votre formation en sciences informatiques vous a conduit à diriger des équipes chargées de l’intelligence artificielle (IA) à la NASA, au début des années 2000. Que pensez-vous du vif intérêt pour ce sujet provoqué par les avancées de Chat-GPT ?

L’intelligence artificielle était mon sujet de doctorat. A cette période [la fin des années 1980] on traversait une période qualifiée d’« hiver de l’IA » [« AI Winter »] car après un énorme engouement, tout le monde avait été très déçu et beaucoup disaient que les IA ne fonctionnaient pas.

Aujourd’hui, ça y est, c’est redevenu un truc à la mode, mais il est possible qu’on se lasse très vite à nouveau. Le problème avec l’IA, selon moi, est que l’on range beaucoup trop d’algorithmes différents et de techniques sous le même nom. « Intelligence artificielle », c’est très effrayant. Ça ferait moins fantasmer si on parlait seulement d’algorithmes. Donc la seule chose dont je suis sûr, c’est que la plupart des promesses faites ne se produiront pas. En revanche, que ce qui arrivera vraiment sera l’œuvre de ceux que l’on n’entend pas faire des prédictions à tout-va.



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